Marque précurseure ou expérience sociale sur la société de consommation ? La griffe Balenciaga fait de nouveau parler d’elle avec son dernier it bag, repéré lors de son défilé Fall 2023 : un paquet de chips Lay’s.
La marque Balenciaga, connue pour vendre à ses clients à prix d’or des chaussures usées, des sacs poubelles et même, en 2016, un it bag bleu très similaire au fameux Frakta d’Ikea, a récemment dévoilé son nouvel accessoire fashion dans un cadre insolite. Le directeur artistique de la griffe, Demna, avait donné rendez-vous à ses invités dans un stade rempli de boue, à Villepinte, en banlieue parisienne. Sur ce catwalk, loin des beaux quartiers de la capitale, les mannequins se baladaient avec, à la main, des paquets de chips Lay’s. Des pochettes zippées improbables et confectionnées en cuir, qui pourraient être vendues 1 850 euros dans les boutiques Balenciaga selon les informations du compte Instagram Diet Prada. Moins cher, un peu plus gras, et certainement plus authentique, le paquet de chips Lay’s coûte 1,65 euros en supermarché. À bon entendeur…
Le 6 juillet, Balenciaga a dévoilé sa deuxième collection de haute couture depuis les débuts de Demna en tant que directeur artistique de la marque et sa 51ème depuis la création de la maison. Pour marquer l’événement, le créateur a fait défiler une kyrielle de stars devant des invités triés sur le volet. Anna Wintour, papesse de Vogue, François-Henri Pinault (propriétaire du label) ou encore sa fille Valentina ont admiré depuis le premier rang les célébrités du moment.
Parmi celles-ci, Kim Kardashian en total look noir, Dua Lipa dans une robe jaune à traîne asymétrique, Bella Hadid vêtue d’une robe vert éclatant, Naomi Campbell arborant une impressionnante robe noire ou encore Nicole Kidman dans une incroyable robe drapée métallisée. En tout, ce sont 59 silhouettes homme et femme pour la haute couture automne-hiver 2022-2023 qui ont foulé le podium, avec parmi celles-ci des silhouettes 100% denim, des joggings et des hoodies côtoyant les maxi dress qui seront de tous les tapis rouges ces prochains mois. Avec ce show, Demna a pris grand soin de montrer l’étendue de sa maestria, prouvant qu’en plus d’exceller lorsqu’il s’agit de créer l’événement, il est capable de surenchérir chaque saison en termes de savoir-faire, d’inventivité et d’intelligence stylistique. Bravo.
Le dimanche 6 mars 2022, la maison Balenciaga a présenté sa collection automne-hiver 2022-2023 . Le décor ? Un immense couloir de neige où s’avançaient les mannequins, luttant contre un véritable tempête. Les invités, qui regardaient le show à travers une vitre, avaient pu trouver sur leurs chaises un T-shirt aux couleurs de l’Ukraine (la guerre menée par la Russie dans le pays ayant débuté dix jours plus tôt) ainsi qu’une lettre du directeur artistique de la maison, Demna. « La guerre en Ukraine a déclenché la douleur d’un traumatisme passé que je porte en moi depuis 1993, lorsque la même chose s’est produite dans mon pays d’origine et que je suis devenu un réfugié pour toujours. Pour toujours, parce que c’est quelque chose qui reste en vous. La peur, le désespoir, le fait de réaliser que personne ne veut de vous. Mais j’ai aussi réalisé ce qui compte vraiment dans la vie, les choses les plus importantes, comme la vie elle-même, l’amour humain et la compassion. C’est pourquoi travailler sur cette collection cette semaine a été si incroyablement difficile pour moi. Parce que dans une période comme celle-ci, la mode perd sa pertinence et son droit réel d’exister. La Fashion Week ressemble à une sorte d’absurdité. J’ai pensé pendant un moment à annuler le défilé sur lequel moi et mon équipe avons travaillé si dur et que nous attendions tous avec impatience. Mais j’ai ensuite réalisé que cela signifierait céder, s’abandonner au mal qui m’a déjà tant fait souffrir pendant près de 30 ans. J’ai décidé que je ne pouvais plus sacrifier des parties de moi à cette guerre d’ego insensée et sans cœur. Ce spectacle n’a pas besoin d’explication. C’est une consécration à l’intrépidité, à la résistance et à la victoire de l’amour et de la paix. »
C’est le 21 janvier 1895 que naît Cristóbal Balenciaga à Getaria dans le pays basque espagnol. Il a 10 ans quand son père, capitaine de bateau, meurt. Sa mère commence alors à travailler comme couturière et Cristóbal Balenciaga apprend à ses côtés les bases du métier. Un voyage à Paris, la capitale de la mode, à l’âge de 15 ans le décide à devenir couturier. Quelques années plus tard, en 1917, il lance sa propre enseigne, Eisa (le nom de jeune fille de sa mère) dans la station balnéaire de San Sebastian. En un peu plus d’une décennie, Cristóbal Balenciaga devient le créateur le plus en vue dans son pays natal et ouvre des boutiques à Madrid et Barcelone. Mais la grande histoire se mêle à sa biographie et tandis que la guerre d’Espagne met à l’arrêt son activité, il décide de déménager à Paris où il installe sa maison de couture au 10, avenue George V.

Dès sa première collection dans la capitale française, il fait l’unanimité et les critiques saluent son habileté à construire des vêtements comme s’il s’agissait de pièces architecturales. Une façon de travailler qui ne concerne pas que la coupe et le montage des habits. Les matières aussi, ont de l’importance : les tissus cloqués, le velours ou encore le gazar, une étoffe créée à sa demande, habillent ses créations… Autre caractéristique de la haute couture signée Balenciaga : elle est le plus épurée possible. Les pièces présentent un minimum de coutures, le noir est la couleur reine et la culture hispanique du créateur n’est jamais bien loin. En fait, sa couture est infusée par ses origines ibériques. Avec sa robe Infanta aux hanches hautes et marquées, inspirée par un tableau du peintre Velasquez, le designer revisite par exemple les tenues de la cour d’Espagne. Il inclut également dans ses collections des références aux costumes des danseuses de flamenco, des galons de matadors sur les vestes ou encore de la dentelle noire qui évoque les mantilles des femmes pieuses…
Des pièces cultes
Au cours de sa carrière, Cristóbal Balenciaga a imaginé de nombreux hits mode. En 1947 sort ainsi la ligne Tonneau, où l’on aperçoit les premiers jeux sur les volumes au niveau de la taille et du dos. Les années 50 sont celles des créations novatrices : le tailleur boxy, mais aussi la robe chemise, les tailleurs semi ajustés, cintrés devant et fluide à l’arrière, les manches ballons XXL, la robe Baby Doll en 1958… Et surtout, la robe sac, qui ne marque aucune partie du corps et va à rebours des tendances de l’époque; à cette même époque, Christian Dior popularise le New Look qui insiste au contraire sur les courbes du corps. Le Daily Mirror commente d’ailleurs « Difficile d’être sexy dans un sac » puisque derrière cette pièce, le corps disparaît totalement. Une abstraction que réussit une nouvelle fois Balenciaga avec la robe Enveloppe et ses quatre angles droits.
Un alchimiste de la couture acclamé
Distingué par la Légion d’honneur en 1958, Cristóbal Balenciaga compte parmi ses fans l’actrice hollywoodienne Ava Gardner, la socialite Gloria Guinness ou encore la richissime Mona von Bismarck, adepte de ses robes de bal et de ses shorts de jardinage. Cette dernière aimait d’ailleurs tellement la marque que quand Balenciaga mit fin à sa maison de couture en 1968, elle se serait enfermée pendant trois jours dans sa chambre sans en sortir. Egalement révéré par ses pairs, le couturier, qui n’a donné qu’une seule interview à la presse de toute sa carrière, a même fait dire à Coco Chanel : « Balenciaga est l’unique véritable couturier. Seulement lui peut couper le tissu, assembler une création et la coudre à la main. Les autres sont simplement des designers de mode« . Emanuel Ungaro, qui comme André Courrèges a fait ses armes aux côtés de Cristóbal Balenciaga, disait quant à lui du créateur qu’il avait posé les bases de la couture moderne.
La fin d’une ère
Alors que la mode se démocratise à la fin des années 60, qu’Yves Saint Laurent fait du prêt-à-porter pour habiller toutes les femmes et que Saint-Germain-des-Prés vit au rythme de mai 68, Cristóbal Balenciaga ferme sa maison de couture. Pour lui, qui vient de signer les uniformes des hôtesses de l’air d’Air France, la couture n’est plus compatible avec ce « nouveau monde« . Il meurt quatre ans plus tard, le 24 mars 1972 à Jaeva en Espagne.
En 1986, le groupe Jacques Bogart acquiert la marque et Michel Goma, un créateur toulousain, est nommé à sa tête. Il est ensuite remplacé en 1991 par le néerlandais Josephus Thimister, qui lance la ligne de prêt-à-porter Le Dix en hommage au parfum du même nom sorti en 1947. En 1997, c’est au tour de Nicolas Ghesquière d’occuper le poste de directeur artistique de Balenciaga. Quatre ans plus tard, le groupe Gucci, qui appartient alors à 42% à PPR (Pinault-Printemps-Redoute) rachète la marque à Jacques Bogart. La maison française intègre alors l’entreprise de luxe qui est aujourd’hui devenue Kering. Sous le règne de Nicolas Ghesquière, Balenciaga revit et atteint des sommets de popularité : it bags en série (le Classic), ligne masculine en 2004, égéries d’exception (comme son amie Charlotte Gainsbourg)… En novembre 2012, son départ de la maison est néanmoins annoncé et Nicolas Ghesquière est remplacé par Alexander Wang. L’Américain reste trois ans à la tête de la maison de couture. Jusqu’en 2015, année au cours de laquelle le Géorgien über cool Demna est choisi pour insuffler une nouvelle énergie à la maison Balenciaga. Connu pour son label pointu Vetements, le créateur va repousser les limites de la marque et, selon ses dires lors du Vogue Paris Fashion Festival de 2018 : « [transposer] les archives Balenciaga des années 50 à aujourd’hui, [pour les adapter] à 2018, 2019, au futur…« . La maison Balenciaga, présidée par Cédric Charbit depuis 2016, ne cesse de créer l’événement lors de ses défilés qui se déroulent en petit comité. Derniers coups d’éclat en date : après avoir organisé le premier défilé masculin de la marque en 2016, Demna a réinitialisé la couture avec une collection honorant plus que jamais l’héritage de Cristóbal Balenciaga pour l’automne-hiver 2021-2022.
Ces dernières années, Demna a développé toute une gamme de produits incontournables. Parmi ceux-ci, on dénombre les baskets Triple S, dotées d’une épaisse semelle graphique, mais aussi les sneakers Track, archétypes de la dad shoes dans toute sa splendeur. Les baskets sans lacets Speed, qui s’enfilent et remontent sur la cheville comme des chaussettes, ont également ravi les fans de sportswear. Rayon sac à main, la marque a fait du Barbès, ce cabas en cuir qui ressemble à s’y méprendre aux grands sacs en plastique rayés de Tati, un hit de la maison. Le Néo Classic, lui, réactualise le design du it bag des années 2010 de Nicolas Ghesquière tandis que Le Cagole le décline en version sac baguette.
Dans ses collections pour Balenciaga, Demna présente des vêtements de tous les jours qu’il twiste façon couture. Le trench se pare d’une encolure qui se porte sur les épaules, les doudounes sont extra extra larges, les robes chemises sont littérales, une moitié robe une moitié chemise… Bref, la mode de Demna est audacieuse mais portable, intellectuelle mais abordable.
En septembre 2017, le logo Balenciaga change. Introduit pour la collection printemps-été 2018, il correspond au nom de la marque en toutes lettres et en majuscules. Il a pour inspiration majeure : « la clarté des supports de signalisation installés dans les transports publics » dixit un communiqué de la marque. Il s’imprime désormais sur les sweatshirts ou encore les écharpes monogrammées de la griffe. En plus, un logo aux B entrelacés rehausse de nombreuses créations de la maison. Des ceintures, des boucles d’oreilles, des lunettes de soleil et même des casquettes arborent ce monogramme nommé « Interlocked BB« .
Depuis que Demna est le directeur artistique de la marque, les collaborations se multiplient. Le créateur a à deux reprises travaillé avec Crocs à l’occasion de défilés (en 2018 et 2021), mais aussi avec la drag-queen américaine RuPaul, la Nasa ou encore le groupe de métal Rammstein. Sans oublier la collaboration qui a le plus fait parler d’elle en 2021 : « The Hacker Project » qui lie Balenciaga à Gucci. Surnommée Gucciaga, cette collaboration mixe les codes et les logos des deux marques comme pour dénoncer avec humour l’uniformisation des créations dans le monde de la mode et interroger la notion de vrai ou de faux dans le luxe. En 2022, c’est avec Adidas que Balenciaga a imaginé une collection, mêlant plus que jamais couture et streetwear. Des vêtements sold out dans le monde entier.